Conseil Scientifique Régional de l'Environnement de Bretagne
Séance du 28 Mars 2001
Contribution de Pierre Aurousseau, Professeur :
Les apports de métaux lourds sur les sols de Bretagne
Les apports de métaux lourds :
Les apports de métaux lourds sur les sols sont aujourd'hui en Bretagne de 400 tonnes de cuivre métal et de 700 tonnes de zinc métal par an. Ils résultent principalement du passage dans les déjections animales de métaux qui sont ajoutés aux aliments apportés aux animaux élevés en hors-sol. Il y a un seul producteur primaire qui fournit en métaux les fabricants d'aliments. En terme de masse ce sont ces deux éléments qui posent le plus de problèmes.
Il faut signaler aussi que des quantités assez importantes de métaux lourds ont été apportés sur les sols par les scories de déphosphoration et par les phosphates naturels qui ont été ou sont utilisés comme fertilisants ou encore qui sont utilisés dans l'alimentation animale.
Une autre source d'apport de métaux lourds se trouve dans les boues de station d'épuration, mais dans la mesure où ces boues feraient l'objet de plans d'épandage contrôlés, c'est la source pour laquelle le suivi devrait être en théorie le plus objectif.
Les métaux lourds ingérés par les animaux et l'homme sont en partie rejetés dans les déjections. Une partie des métaux ingérés est stockée dans le cortex rénal des jeunes animaux et des jeunes hommes (on peut d'ailleurs se poser des questions relativement aux teneurs de métaux dans les rognons...). Au delà d'un certain âge (cinquante ans environ chez l'homme) le cortex rénal devient plus perméable aux métaux lourds ce qui est peut-être une forme d'adaptation pour éviter les cancers des reins. Il y a sans doute un mécanisme du même type chez les animaux d'élevage mais ils n'atteignent pas habituellement l'âge équivalent.
Dans les années antérieures, les aliments pour les porcs étaient plus riches en cuivre. On peut estimer que dans les années 70 les apports sur les sols étaient d'environ 500 tonnes de cuivre métal et de 500 tonnes de zinc métal par an.
Très grossièrement, on peut donc estimer les apports totaux
sur les sols a environ 15000 tonnes de cuivre et de 15000 à 20 000
tonnes de zinc.
Les formes facilement extractibles :
Pour le cuivre et le zinc, on estime que dans les sols, une part importante se trouve sous une forme insoluble. On pourrait distinguer plusieurs compartiments allant de formes très insolubles jusqu'à des formes facilement extractibles. Des échanges se réalisent entre ces différents compartiments et pourraient être formalisés avec des constantes d'échange.
Les formes facilement extractibles qui sont susceptibles d'être assimilées
par les plantes et qui sont à l'origine aussi bien des phénomènes
de carence que des phénomènes de toxicité sont habituellement
déterminées analytiquement par des extractions à l'EDTA.
Le seuil de toxicité :
Des cultures expérimentales en pots ont montré dès les années 1960 que le seuil de phytotoxicité se situait dans les sols acides aux environs de 120 ppm de cuivre ou de zinc EDTA (ce qui est équivalent approximativement à 500 kg par hectare). L'un ou l'autre de ces métaux pouvant se substituer à l'autre, ce qui signifie que la phytotoxicité peut s'observer aussi bien avec 120 ppm de cuivre, que 120 ppm de zinc ou encore avec 120 ppm de cuivre + zinc EDTA.
Les sols de Bretagne étant habituellement acides, avec un pH compris entre 5,5 et 6,5 (on considère habituellement que le pH optimal est de 6,2 –6,3 en Bretagne) la phytotoxicité se manifeste effectivement aux alentours de la valeur seuil de 120 ppm.
Une stratégie classique de lutte contre la phytotoxicité du cuivre et du zinc consiste à faire remonter le pH du sol par des chaulages pour faire évoluer les formes mobiles de ces métaux vers des formes plus insolubles. On peut être conduit dans certains cas à pratiquer le sur-chaulage et tenter d'atteindre des pH de 8,3 a 8,5. Ces pratiques sont bien connues dans d'autres régions de France, en particulier dans celles qui ont été confrontées à la reconversion en polyculture des sols de vignobles qui avaient reçu de grandes quantités de sulfate de cuivre.
On remarquera que si les pratiques de sur-chaulage semblent réalistes
dans des régions où les sols sont développés
sur substrat calcaire et dans une ambiance calcique et où les coefficients
de lessivage (rapport entre la hauteur des pluies efficaces sur la réserve
utile du sol) sont assez faibles. Il n'en est pas de même en Bretagne
où les coefficients de lessivage peuvent être élevés
(et dépasser en année moyenne la valeur de 3,0) et où
l'ambiance n'est pas du tout calcique. Dans ces conditions, il semble difficile
de maintenir le pH des sols à des niveaux élevés.
En effet, une telle stratégie conduirait à des apports de
chaux importants et répétés compte tenu du niveau
des pertes annuelles en CaO dans les eaux de drainage des sols.
La distribution des teneurs de cuivre et de zinc des sols de Bretagne:
Les teneurs en cuivre et zinc des sols de Bretagne sont mal connues. Dans les sols qui reçoivent des apports de lisiers de façon régulière et de manière assez intensive, il semble que le niveau soit de l'ordre de 15 ppm de Cu-EDTA et de 20 à 25 ppm de Zn-EDTA, soit un total cuivre+zinc de 35 à 40 ppm. On se situerait alors dans ce cas aux alentours d'un tiers du seuil de toxicité. Quel est le sens exact de ce niveau ? Peut-il être considéré comme une valeur moyenne ou une valeur médiane ?
Il serait du plus grand intérêt de connaître le niveau moyen et médian d'accumulation du cuivre et du zinc dans les sols de Bretagne ; il est d'un intérêt plus grand encore de connaître la tête de distribution : à quel niveau se trouvent les parcelles les plus riches en cuivre et en zinc aujourd'hui? Avons-nous des centaines d'hectares de sols qui se trouvent peu éloignés du seuil de toxicité ? Malheureusement, il n'y a pas aujourd'hui de réponse à cette question.
En effet, il faut bien comprendre que lorsque l'on s'intéresse à un problème de toxicité la première urgence est de suivre « la tête de distribution », c'est-à-dire les parcelles dont les teneurs sont les plus élevées et qui risquent en premier de poser des problèmes de phytotoxicité. Pour cela le niveau moyen ou median ne nous apporte aucune information ; il caractérise certes un nombre de parcelles beaucoup plus élevé et des superficies bien plus grandes mais ces parcelles ne sont pas celles qui poseront en premier des problèmes de phytotoxicité.
Nous savons que quelques dizaines de parcelles ont été et sont confrontées à des problèmes de phytotoxicité. Leur nombre peut-être évalué entre 20 et 30, peut-être 40 parcelles qui manifestent de la phytotoxicité. Elles ont fait l'objet d'analyse avec des niveaux qui vont de 100 ppm à plus de 150 ppm de cuivre+zinc EDTA. Certaines de ces parcelles ont déjà été l'objet d'une stratégie “curative” par sur-chaulage avec des pH allant de 8,1 a 8,5. Ceci signifie que la phytotoxicité y est apparue depuis assez longtemps déjà et de façon assez manifeste. Malgré le sur-chaulage qui y a été pratiqué et malgré des pH très élevés (jusqu'à 8,5), on y observe encore pour certaines d'entre-elles des niveaux de cuivre et de zinc supérieurs au seuil de phytotoxicité.
Par contre, il n'est pas certain que parmi ces parcelles la phytotoxicité
soit d'origine agronomique (apports de lisiers riches en cuivre et en zinc).
On a rapporté pour certaines d'entre elles des origines non directement
agronomiques (sols dans lesquels on a mélangé du mâchefer,
parcelles recevant les eaux pluviales provenant de très grandes
serres dont les armatures métalliques sont en zinc…).
La mobilité des métaux lourds dans les versants et les bassins versants :
Une première série de travaux a concerné les sols très hydromorphes (à gley et à accumulation de matière organique plus ou moins tourbeuse).
Il a été montré que les zones hydromorphes de bas-fonds étaient le siège d'une accumulation de métaux lourds, excepté pour le plomb. L'accumulation est notable pour le cadmium et le nickel, moins nette pour le cuivre et le zinc.
L'accumulation de cadmium, de cuivre et secondairement de nickel est directement liée à l'augmentation du taux de matière organique dans les sols hydromorphes de bas-fonds et à l'augmentation du degré d'anoxie du milieu.
Les hypothèses avancées sont que le cuivre est directement lié à la matière organique et que le cadmium est lié aux sulfures (pour les sols très hydromorphes où le potentiel redox est suffisamment bas pour réduire les sulfates en sulfures). Tous les mécanismes liés à l'amélioration du drainage qui se traduisent soit par une diminution du taux de matière organique soit par une diminution du degré d'anoxie ont pour conséquence une diminution du taux de cadmium et de cuivre immobilisé dans les sols hydromorphes de bas-fonds, consécutivement à un relargage de ces métaux dans le réseau hydrographique.
En ce qui concerne le zinc, le plomb et le chrome l'accumulation la plus nette s'observe au niveau de la limite entre les sols de versant et les sols de bas-fonds, à proximité de l'emplacement des haies qui ceinturaient habituellement les zones de bas-fonds.
Une seconde série de travaux a concerné les sols moyennement hydromorphes (à tâches d'hydromorphie et à pseudogleys).
Jaffrezic (1997) a montré que des transferts de cuivre et de zinc
s'opéraient dans les jours qui suivent l'épandage de lisiers
par des écoulements de sub-surface. Les zones humides temporairement
saturées en eau sont le siège d'immobilisation en conditions
oxydantes (par adsorption sur les oxydes et les oxy-hydroxydes) et de relargage
en conditions réductrices. Ces zones jouent ainsi un rôle
de puits ou de source envers le cuivre et le zinc selon les conditions
hydriques.
Propositions :
Etablir un protocole de suivi non seulement des teneurs moyennes ou médianes des sols en métaux lourds mais surtout des « têtes de distribution ».