Les flux d'azote sortant des bassins versants de Bretagne


Contribution de Pierre Aurousseau,
Professeur,
Laboratoire de Spatialisation Numérique, ENSAR.
Séance du Conseil Scientifique de l'Environnement du 7 Avril 2000



Méthode - les données traitées :

    Les données traitées sont celles qui ont fait l'objet de la mission confiée à l'UBO par le Conseil Scientifique de l'Environnement de la Conférence Régionale sur "Les apports de nitrates aux eaux littorales bretonnes ; Caractérisation et évolution des flux ; Rôle dans les proliférations d'Algues". Elles ont permis de calculer un cumul des flux sortants de 1980 à 1996 sur une superficie de bassin versant allant de 13 609 km2 à 18 856 km2.
    Ces cumuls ont ensuite été extrapolés aux 30 000 km2 de la Bretagne pour réaliser une estimation des flux d'azote sortant de Bretagne.
    Ces flux ont ensuite été comparés aux mêmes flux calculés par la DIREN en 1990 et de 1993 à 1998.
    Pour les années communes aux deux familles de calculs, les résultats sont le plus souvent très proches.
    On présentera donc un diagnostic commun à ces deux familles de calculs. L'ensemble des données couvre donc la période 1980 - 1998. Des extrapolations ont été faites enfin pour l'année 2000.

Résultats :

    Les flux d'azote sortant de Bretagne sont très variables d'une année à l'autre avec un minimum de 25 000 tonnes de N observé en 1989 et un maximum de 136 000 tonnes de N observé en 1994 (figure 1). Cette variabilité d'un facteur 5 est dépendante d'une part de la pluviométrie et d'autre part d'une tendance lourde d'augmentation au fil du temps.
    Pendant la période 1980-1988, on n'a jamais observé un flux supérieur à 70 000 tonnes de N.
    Pendant la période 1980-1992, on n'a jamais observé un flux supérieur à 90 000 tonnes de N.
    Depuis 1993, on a observé à 4 reprises un flux supérieur à 90 000 tonnes de N et 3 fois un flux supérieur à 105 000 tonnes de N (136 000 tonnes de N en 1994, entre 112 et 130 000 tonnes de N en 1995 et 106 000 tonnes de N en 1998).

    Une moyenne mobile calculée sur dix ans (figure 2) a été réalisée à partir de 1990 : elle croît d'une manière pratiquement continue et varie de 54 000 tonnes de N en 1990 à près de 78 000 tonnes de N en 1998 (soit une augmentation moyenne annuelle de 2 600 tonnes de N par an ou 11 800 tonnes de NO3 par an).
    De même, une moyenne mobile calculée sur six ans (figure 3) a été réalisée à partir de 1986 : elle croît et varie de 52 500 tonnes de N en 1986 (période 1980 à 1986 avec une année sans données suffisantes en 1983) à plus de 95 000 tonnes de N en 1998 (période 1993 à 1998) (soit une augmentation moyenne annuelle de 3 200 tonnes de N par an ou 14 400 tonnes de NO3 par an).
    Ces données semblent donc bien confirmer la tendance lourde à la dégradation de la qualité des eaux par rapport aux nitrates avec une augmentation moyenne annuelle de 1 à 1,5 mg de NO3 par litre soit de 10 000 à 15 000 tonnes de NO3 par an.
    L'augmentation du flux d'azote constaté avec ces moyennes mobiles n'est pas attribuable à une augmentation des débits car les moyennes mobiles des débits calculées de la même façon sont très proches de la moyenne interannuelle des débits. Cette augmentation observée des flux est donc bien attribuable à une augmentation des concentrations en nitrates dans les eaux.

    Des estimations pour l'année 2000 du flux d'azote sortant des bassins versants de Bretagne ont été réalisées. Pour une hydraulicité de 1,0 (l'hydraulicité est le rapport entre le flux d'eau de l'année étudiée avec le flux d'eau de l'année moyenne interannuelle) ce flux doit être estimé entre 93 et 108 000 tonnes de N. Pour une hydraulicité de 0,5 (sachant que l'hydraulicité peut descendre légèrement en dessous de cette limite), ce flux doit être estimé entre 46 et 54 000 tonnes de N. Pour une hydraulicité de 1,4 (sachant que l'hydraulicité n'a jamais dépassé 1,34 ces dernières années), ce flux doit être estimé entre 130 et 151 000 tonnes de N.

Abattement et bilans globaux an niveau de la Bretagne :

    Les mécanismes d'abattement (ensemble des phénomènes naturels responsables d'une consommation partielle de l'azote en excès) doivent continuer à représenter de l'ordre de 60 000 tonnes de N. Ceci conduit à évaluer le bilan des bassins versants bretons comme effectivement excédentaire de 160 000 tonnes par an (résultante d'un flux moyen annuel de l'ordre de 100 000 tonnes et d'un abattement de 60 000 tonnes).
    Nous sommes conduits à émettre l'hypothèse selon laquelle on serait entré en phase de consommation d'une partie de l'azote stocké dans la matière organique des sols. Faisons deux hypothèses :

H1 : Les apports d'azote sous forme d'engrais minéraux sont aujourd'hui au niveau de la consommation de 1988 soit 220 000 tonnes de N.
Pour équilibrer le bilan régional, il faut introduire une minéralisation additionnelle de 11 000 tonnes de N (tableau 1).

H2 : Les apports d'azote sous forme d'engrais minéraux sont aujourd'hui au niveau de 170 000 tonnes de N.
Pour équilibrer le bilan régional, il faut introduire une minéralisation additionnelle de 56 000 tonnes de N (tableau 1).

Comparaison des flux d'azote sortant des bassins versants de l'Atlantique Nord :

    La figure 4 extraite d'une publication de Howarth et al. 1995 a été complétée pour les bassins versants bretons.
    L'observation de cette figure montre que les bassins versants peu intensifiés perdent:
 
Nord Canada 
Espagne 
Bassin du Saint Laurent 
Bassin de la Mer Baltique 
Bassin du Mississipi 
Bassin d'Afrique centrale 
Bassins des Etats du Sud US 
076 kg de N / km2 / an
367 kg de N / km2 / an
413 kg de N / km2 / an
495 kg de N / km2 / an
566 kg de N / km2 / an
420 kg de N / km2 / an
675 kg de N / km2 / an

    Pour les bassins plus fortement intensifiés les pertes sont supérieures à 1000 kg de N par km2 et par an :

Bassin du Rhin, Seine,... : 1450 kg de N / km2 / an
Bassins bretons :              de 3100 kg de N / km2 / an (hypothèse basse de l'estimation du flux sortant en l'an 2000 dans l'hypothèse d'une hydraulicité de 1,0, voir plus haut)
                                        à 3600 kg de N / km2 / an (hypothèse haute de l'estimation du flux sortant en l'an 2000 dans l'hypothèse d'une hydraulicité de 1,0, voir plus haut)

Les flux sortants des bassins versants bretons dans l'hypothèse d'une amélioration de la qualité des eaux :

    Dans plusieurs programmes d'actions du programme Bretagne Eau Pure n°2, on se fixe un objectif de 25 mg de NO3 par litre.
Si l'on atteignait cet objectif en moyenne, le flux annuel sortant des bassins versants bretons serait de l'ordre de 250 000 tonnes de NO3 , soit le l'ordre de 57 000 tonnes de N.
Si cet objectif de 25 mg de NO3 par litre n'était jamais dépassé, on atteindrait un flux sortant annuel bien inférieur.

    Si les pertes spécifiques des bassins versants bretons étaient de l'ordre de grandeur de la plupart des bassins versants de l'Atlantique Nord dont la moyenne se situe aux alentours de 500 kg de N / km2 / an le flux annuel d'azote sortant des bassins versants bretons serait de l'ordre de 15 000 tonnes de N par an, soit 66 000 tonnes de NO3 par an.
    On comparera ces flux objectifs aux flux actuels qui sont de l'ordre de 100 000 tonnes de N (plus de 440 000 tonnes de NO3).
 

Remarque :

    Discussion sur moyenne temporelle des concentrations en nitrates (ou moyenne vraie) et la moyenne pondérée par les débits.

    Quand on se préoccupe de la question de l'alimentation en eau potable, la moyenne temporelle des concentrations ou moyenne vraie a un sens, car les prélèvements d'eau dans le réseau hydrographique n'ont aucune raison d'être plus élevés en période de fort débit, c'est-à-dire en période de forte concentration.

    Par contre, quand on se préoccupe des conséquences sur les eaux littorales des apports d'éléments nutritifs il faut évaluer les flux en multipliant la concentration temporelle moyenne ou moyenne vraie par le débit annuel cumulé est une mauvaise méthode qui sous-estime fortement les flux (en moyenne d'au moins un tiers en Bretagne), car les plus fortes concentrations s'observent pendant des périodes plus courtes qui correspondent à de plus forts débits souvent l'hiver. Pour évaluer correctement les flux, il convient de calculer une moyenne pondérée par les débits. De nombreux travaux l'ont démontré (cf. Thèse de Kauark Leité et Mérot 1998).

Références :

Howarth et al., (1996). Regional nitrogen budgets and riverine nitrogen and phosphorus fluxes for drainages to the north atlantic ocean : natural and human influences. Biogeochemistry 35 : 75-139.
Kauark Leité L. A., 1990 - Réflexions sur l'utilité des modèles mathématiques dans la gestion de la pollution diffuse d'origine agricole, Thèse ENPC - CERGRENE, 342 p + annexes.

Mérot P., 1998 - Lutte préventive et curative contre la prolifération des marées vertes - Conception d'un programme d'actions préventives en Baie de Lannion - Diagnostic approfondi sur le Yar et le Roscoat - Approche de la circulation de l'eau au sein des bassins versants. 25 p + 35 figures

Conseil Scientifique de l'Environnement de la Conférence régionale - 1998 - Les apports de nitrates aux eaux littorales bretonnes ; Caractérisation et évolution des flux ; Rôle dans les proliférations d'Algues. 24 p.

Porhel S., Rapports d'étape

Mortreux P., 1999 - Synthèse sur les flux de nutriments apportés par les rivières bretonnes aux eaux côtières. Mémoire de DAA INAPG. Publication Ifremer. 83 p.
 

Remerciements :

 
Paul Tréguer et Sandrine Porhel, UBO
Alain Menesguen, Jean-Yves Piriou et Jean François Guillaud, Ifremer


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