Conseil Scientifique Régional de l'Environnement de Bretagne

Séance du 14 Décembre 1999 – Version définitive du 11 Mars 2001

Contribution de Pierre Aurousseau, Professeur


le phosphore dans les sols







Le phosphore dans les sols des bassins versants :

    En agronomie, on utilise un concept de phosphore assimilable pour estimer la part du phosphore total disponible pour les plantes quelles soient cultivées ou non. Plusieurs méthodes analytiques ont été mises au point pour mesurer ce phosphore assimilable. En France, on a utilisé principalement deux méthodes : une première méthode pour les sols acides (à pH < 7,0), il s'agit de la méthode Dyer et une seconde méthode pour les sols calcaires (à pH > 7,0), il s'agit de la méthode Joret-Hébert. Des dizaines de milliers de déterminations utilisant ces méthodes sont pratiquées à la demande des agriculteurs depuis plusieurs décennies. Une autre méthode tend à se généraliser, il s'agit de la méthode Olsen qui était principalement utilisée dans d'autres pays développés. Toutes ces méthodes déterminent une certaine proportion du phosphore présent dans le sol, une proportion censée être facilement assimilable ou disponible pour les plantes.

    Les sols de Bretagne étaient dans une situation de carence vis à vis du phosphore à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ceci signifie que le phosphore était alors un facteur limitant de la production végétale ; on peut aussi exprimer ce fait en disant que le phosphore contrôlait la production végétale. On peut estimer très grossièrement que la teneur moyenne en phosphore assimilable mesurée par la méthode Dyer était inférieure à 100 mg/kg de terre ou 100 ppm.

    Après la guerre, dès que les agriculteurs ont commencé à avoir des disponibilités financières, ils ont pratiqué des fertilisations ou fumures de redressement en utilisant des scories de déphosphoration qui étaient des sous produits de l'industrie sidérurgique. Ces scories étaient produites en grandes quantités et étaient disponibles à des prix peu élevés.

    Ensuite dans un deuxième temps, les agriculteurs ont utilisé d'autres formes de phosphore avec des engrais binaires et ternaires où pour l'essentiel le phosphore ne provenait plus de l'industrie sidérurgique mais de minerais naturels importés. En ce qui concerne les engrais minéraux ternaires, on a utilisé pendant des années des formules dites en chapeau ou en accent circonflexe "^", c'est-à-dire des engrais plus riches en phosphore qu'en azote et en potasse. Ensuite les formulations ont évolué et on a vu se développer l'usage d'engrais ternaires à formule en "V", c'est-à-dire des engrais plus pauvres en phosphore qu'en azote et en potasse.

    Dans une phase ultérieure, on a vu le développement d'élevages hors-sols produisant de grandes quantités d'amendements organiques riches en phosphore. Aujourd'hui, dans une région comme la Bretagne, une part prépondérante du phosphore est apportée sous forme organique par les lisiers.

    Dans la plupart de l'espace agricole breton, le phosphore a cessé d'être un facteur limitant de la production depuis des années. On est passé inversement à une situation de stockage. On estime que le phosphore cesse de contrôler la production végétale au delà de 250 à 300 ppm de phosphore Dyer.

    La teneur moyenne dans les sols de Bretagne est aujourd'hui de près de 400 ppm.

    Sur cette base on peut estimer le stock de phosphore assimilable présent dans les sols à 4,8*106 tonnes de P2O5 assimilable.

    En nous fondant sur une relation entre P assimilable et P total construite à partir de résultats présentés par N. Turpin et al. 1999 et confrontés aux résultats de F. Vertès (cf. fig. 1 qui présente les résultats des travaux de N. Turpin et F. Vertès), on peut estimer le stock en phosphore total entre 8,1*106 tonnes et 20,1*106 tonnes, et plus probablement entre 8,1*106 tonnes et 14,1*106 tonnes (exprimé en P). Les incertitudes sur l'estimation de ce stock sont très grandes compte tenu de l'absence de mesures directes de phosphore total. Nous remercions nos collègues Nadine Turpin du CEMAGREF et Françoise Vertès de l'INRA qui nous ont fourni des données sur des relations entre phosphore assimilable et phosphore total sur environ 500 échantillons et qui ont rendu possible cette première estimation très grossière du stock de phosphore total dans les sols, estimation que nous fournissons simplement à titre d'illustration.

    Le tableau phospho.xls présente des estimations du stock de phosphore assimilable méthode Dyer, du phosphore total dans trois hypothèses de modèle de relation statistique et le phosphore non immédiatement assimilable en exprimant les résultats en P2O5 et en P pour éviter toute confusion.
 
 
 
 
en millions de tonnes
 
exprimé en P2O5
exprimé en P
P assimilable 
méthode DYER
 
4.8
2.1
P total
hypothèse basse
hypothèse moyenne
hypothèse haute
24,7
38,5
52,2
8,1
14,1
20,1
P non immédiatement
assimilable
hypothèse basse
hypothèse moyenne
hypothèse haute
19,9
33,7
47,4
6,0
12,0
18,0

Tableau phospho.xls

    En France en dehors de la Bretagne, une seule autre région est l'objet d'un tel niveau de stockage : il s'agit de la Région Nord-Pas de Calais et peut-être dans une moindre mesure une partie de l'Alsace (on se reportera à la synthèse nationale des analyses de sols réalisée en 1995).

    En Europe, on peut estimer que moins de 10 millions d'hectares sont concernés par un tel niveau de stockage.

    Ces estimations sont réalisées avec une fourchette d'erreur très large car les seules analyses de teneur en phosphore qui sont réalisées sont des analyses de phosphore dit assimilable (représentant une proportion variable du phosphore total) faites à la demande des agriculteurs pour ajuster leur politique de fertilisation. Plus de la moitié des communes de Bretagne (presque tout le Finistère, presque tout le Morbihan sauf les communes les plus à l'Est, la majorité des Côtes d'Armor sauf les communes du Sud-Est de ce département et l'Est et surtout le Nord-Est de l'Ille-et-Vilaine)sont en moyenne dans une situation d'excès (500, 1000, 2000, voire 5000 mg/kg de terre de P205 assimilable, alors qu'une teneur normale est de l'ordre de 250 à 300 mg/kg de terre). On a même rapporté l'existence de parcelles dont la teneur en P205 assimilable dépasse les 13000 mg/kg de terre. Par contre, pratiquement aucune mesure de phosphore total n'est réalisée.
 

Relation entre phosphore dans les sols et dans les eaux douces :

    Le niveau de contamination du réseau hydrographique ne semble pas en relation simple et directe avec le niveau de stockage du phosphore dans les sols. Les pertes moyennes en phosphore varient très grossièrement de 0,5 à 3 kg de P par ha et par an.

    Les pertes les plus faibles s'observent dans l'Ouest et le Sud-Ouest de la région ; Les pertes les plus fortes dans l'Est et le Nord-Est de la région sans corrélation spatiale avec le niveau des stocks mais en corrélation spatiale négative avec la teneur en matière organique des sols. Les pertes moyennes de phosphore vers le réseau hydrographique seraient donc en premier lieu corrélées négativement avec la teneur en matière organique des sols et en deuxième lieu seulement corrélées positivement avec le niveau des stocks.

    Ces données moyennes n'écartent pas, par contre le risque de pertes exceptionnelles consécutives à des événements climatiques (très fortes averses dans des conditions très favorables au déclenchement de phénomènes de ruissellement et d'érosion) qui pourraient être à l'origine de pertes de 10 kg/ha et même de plusieurs dizaines de kg de P par hectare mais avec une fréquence de retour faible : tous les dix ans ou tous les 20 ans). Dans ce cas d'événements plus exceptionnels entraînant de fortes pertes par hectare, le niveau de ces pertes pourrait alors être directement lié au niveau des stocks de phosphore dans les bassins versants.

    Enfin la baisse généralisée du taux de matière organique des sols (en moyenne de 0,6% de matière organique au niveau des moyennes communales en dix ans) a pour conséquence que le risque de fortes pertes liées à des événements exceptionnels augmente. De même, on doit s'attendre parallèlement à une augmentation des pertes moyennes dans les secteurs où le niveau de stockage du phosphore est élevé.

    Il faut remarquer enfin que la baisse observée du taux de matière organique est d'autant plus forte en 10 ans que le niveau initial du taux de matière organique était élevé : on a ainsi pu observer en 10 ans des baisses atteignant 1,5% de matière organique dans l'Ouest-Sud-Ouest de la région, là où initialement il y a dix ans les taux de matière organique étaient à 7 % et plus.

    D'une façon générale, cette matière organique semblait constituer un rempart vis a vis des pertes de phosphore sur les versants. Cet effet rempart s'amenuise avec une grande rapidité et confère d'année en année un risque plus important aux stocks considérables de phosphore qui ont été constitués dans certains secteurs de la région.

    Remarque : la législation Française relative aux épandages n'est pas fondée sur les apports de phosphore mais principalement sur les apports d'azote. L'une des conséquences de ce choix de la législation Française est l'accumulation du phosphore dans les sols. Dans les pays où la législation relative aux épandages est fondée sur les apports de phosphore, le respect de cette législation devrait conduire à une absence ou à une limitation du stockage du phosphore dans les sols.

    Propositions : en nous appuyant sur les laboratoires d'analyse de sol de la région nous proposons : (1) qu'un financement d'analyse soit accordé aux laboratoires pour qu'une proportion fixe d'échantillons arrivant dans ces laboratoires soit analysée pour déterminer la teneur des sols en phosphore total, (2) qu'une cartographie de ces résultats d'analyse soit réalisée au niveau régional en vue d'estimer les stocks et de caractériser la distribution spatiale de ces stocks.

    Cinq laboratoires d'analyse de sol de la région Bretagne agréés par le Ministère de l'Agriculture :
        Analyses 5000 analyses par an à 60F HT pendant deux ans : 600 000F HT
        Synthèse cartographique : 120 000 F dont participation demandée 80 000 F.
 



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