Rôle environnemental et identification cartographique des sols hydromorphes de bas-fonds




par P. Aurousseau et H. Squividant
Spatialisation Numérique
E.N.S.A.R.
65, rue de Saint Brieuc,
35042 Rennes Cedex







Introduction
1 - Rôle environnemental des sols hydromorphes de bas-fonds
2 - Identification cartographique par utilisation des modèles numériques de terrain et des indices topographiques
3 - Extraction des zones de bas-fonds et des contours des zones de bas-fonds
4 - Différentes formes de restitution cartographique des résultats
5 - Perspectives








Introduction


La rade Brest comme toute la Bretagne est confrontée à un grave problème de pollution d'origine agricole.
En ce qui concerne l'azote, il est établi que l'activité agricole est responsable de plus de 85 % de la pollution des eaux.
Cette pollution concerne l'azote, mais aussi éventuellement d'autres macro-nutriments, des pesticides et éventuellement des métaux lourds.

D'après les données du Recensement Général de l'Agriculture de 1988, l'excédent azoté sur le bassin versant de la Rade de Brest serait de plus de 8500 tonnes (exprimé en N) par an, soit plus de 37 000 tonnes d'équivalent nitrate.

D'après les données du Réseau National de Bassin, le flux annuel mesuré pour l'Aulne et l'Elorn est de 8600 tonnes de N, soit une valeur très proche du flux annuel estimé.

Si l'on considére le bassin versant de l'Elorn, le flux mesuré est de l'ordre de 1 650 tonnes de N, alors que le bilan agronomique conduit à un flux estimé de 2 200 tonnes. Cinq cent cinquante tonnes d'azote ne se retrouvent donc pas dans le flux; ces pertes sont attribuables soit à la volatilisation de l'ammoniac, soit à la dénitrification, soit à la réorganisation de l'azote sous forme de matières organiques labiles, soit au stockage dans les sols et les eaux des nappes superficielles.

Une partie de ces phénomènes ne sont pas des mécanismes d'épuration mais de simples transferts dans l'espace (comme pour la volatilisation), soit dans le temps (comme pour la réorganisation et les stockage dans les sols et les eaux).

La dénitrification est un processus bénéfique sur le plan environnemental dans la mesure où elle se traduit par une perte en azote nitrique et où elle conduit à des émanations de azote gazeux sous forme de N2.

Dans certains cas, les processus de dénitrification conduisent malheureusement à des émanations d'oxydes d'azote N2O qui est susceptible d'être oxydé dans l'atmosphère sous de multiples formes de molécules dangeureuses pour l'environnement.

On estime malgrè tout pour l'instant que la dénitrification est un processus globalement bénéfique sur le plan environnemental qui se traduit par une épuration partielle de l'azote nitrique excédentaire dans les bassins versants.

Cette dénitrification se produit essentiellement dans les sols hydromorphes et tout particulièrement dans les sols hydromorphes de bas fonds.

L'intérêt environnemental des sols hydromorphes de bas-fonds ne se limite pas à la dénitrification. Ils sont aussi intéressants dans leur rôle d'interception des eaux de ruissellement qui peuvent être chargées de matières en suspension, de matières organiques, de phosphore, de pesticides et de métaux lourds.

Les sols hydromorphes de bas-fonds qui sont le siège de ces processus représentent de 15 à 20 % de la surface de la Bretagne. Ils sont donc susceptibles de jouer un rôle sur la qualité des eaux douces et par là des eaux estuariennes, un rôle qui est bien supérieur à leur importance spatiale.

Depuis les années 1970, avec l'intensification de l'agriculture, une partie de ces sols ont été drainés, mis en culture et souvent utilisés pour produire du maïs ensilage. Souvent ils sont aussi l'objet d'épandages d'effluents organiques d'origine agricole.

Ils ne jouent plus alors leur rôle épurateur; au contraire, leur usage agricole fait qu'ils sont à l'origine de situation à risque à proximité immédiate du réseau hydrographique : sols nus pendant une partie importante de l'année à proximité du réseau hydrographique, risque de ruissellement, de contamination des eaux par les herbicides utilisés sur maïs (atrazine), de remise en solution de métaux lourds et de pollution par la matière organique, les nitrates et même l'ammoniac.

L'une des voies prioritaires qui a donc été identifiée pour améliorer la qualité des eaux et améliorer le fonctionnement environnemental des bassins versants consiste à faire porter des actions renforcées sur les sols hydromorphes de bas-fonds.

L'une des questions posées relatives à ces sols concerne leur identification cartographique. Trois familles de techniques peuvent être envisagées pour leur identification cartographique: la cartographie pédologique, l'utilisation des modèles numériques de terrain, l'utilisation de techniques de télédétection.

Après un rappel des principaux rôles environnementaux des sols hydromorphes de bas-fonds, nous développerons la méthodologie qui a été développée pour identifier cartographiquement les sols hydromophes de bas fonds à l'aide de modèles numériques de terrain et nous illustrerons les résultats obtenus sur le bassin versant de la Rade de Brest.

retour au sommaire


1 - Rôle environnemental des sols hydromorphes de bas-fonds

1.1 - Rôle épurateur

Les sols hydromorphes de bas-fonds sont le siège d'alternances de conditions d'oxydation et de réduction.

Le potentiel d'oxydo-réduction qui est atteint dans les sols hydromorphes permet d'atteindre le potentiel du couple FeIII / FeII. Ce potentiel est inférieur au potentiel du couple NO3-/N2.

Les sols hydormorphes peuvent donc être le siège de processus de dénitrification, mais ces processus de dénitrification peuvent aussi être observés dans des sols affectés par des phénomènes de saturation en eau moins importants que ceux des sols hydromorphes, dans le cas où le potentiel d'oxydo-réduction atteint la veleur du couple NO3- / N2, sans atteindre celle du couple FeIII / FeII.

La seconde condition pour que les processus de dénitrification se développent est qu'il existe un substrat carbonné important dans les sols, ce substrat carboné est nécessaire au développement des micro-organismes dénitrifiants.

Les sols hydromorphes sont justement des sols riches en matière organique, plus riches de quelques pourcents que les sols sains des mêmes bassins-versants.

Dans les bassins-versants, les sols hydromorphes peuvent être localisés soit en situation de bas-fonds, soit en haut de topographie en situation de plateau, ou en situation de versant. L'intérêt de ces trois types de sols hydromorphes n'est pas le même relativement à la dénitrification.

Une parcelle d'un hectare de sols hydromorphes de bas-fonds va être alimentée en eau par l'ensemble de son bassin versant d'alimentation dont la surface est d'au moins une dizaine d'hectares, alors qu'une parcelle d'un hectare de sols hydromorphes de haut de topographie ne va être alimentée que par un bassin de versant d'alimentation de très petite surface.

Dans le premier cas, l'épuration dénitrifiante va s'appliquer au volume d'eau drainé par un bassin versant d'au moins dix hectares, alors que dans le deuxième cas, l'épuration dénitrifiante va s'appliquer éventuellement uniquement aux pluies efficaces échues sur la parcelle elle-même.

Pour illustrer numériquement les conséquences de ce raisonnement, si l'on se situe dans une région géographique où les pluies efficaces (l'excédent des précipitations sur l'évaporation) sont de l'ordre de 200 mm, dans le premier cas qui est celui des sols hydromorphes de bas fonds, l'épuration dénitrifiante va s'appliquer sur un volume d'eau de drainage d'au moins 20 000 m3 (pour un bassin versant de 10 hectares), alors que dans le deuxième cas des sols hydromorphes de haut de topographie, l'épuration dénitrifiante ne va s'appliquer à un volume d'eau de drainage beaucoup plus faible de l'ordre de 2 000 m3 d'eau par an.

Pour que les choses se produisent comme cela vient d'être décrit, il faut qu'il n'y ait pas de courts-circuits qui risquent de conduire l'eau rapidement vers le réseau hydrographique sans qu'elle traverse les zones hydromorphes de bas-fonds.

Il faut aussi que le temps de résidence de l'eau dans cette zone hydromorphe de bas-fond soit suffisant pour les processus d'épuration aient lieu.

Cette comparaison entre le volume d'eau susceptible d'être affecté par les propriétés dénitrifiantes des sols hydromorphes explique pourquoi dans une problématique environnementale on cherche à identifier l'extension géographique des sols hydromorphes en délaissant les sols hydromorphes de versant et de haut de topographie.

Rrappelons aussi que les paramètres qui sont favorables à la dénitrification sont (Henault C. 1993, Rismondo L. 1993) :

La dénitrification s'accompagne d'une consommation du substrat carbonné présent dans les sols ; on peut estimer que pour chaque kg de nitrate dénitrifié, on consomme approximativement 3 kg de matière organique du sol.

Si la dénitrification concerne annuellement 100 000 tonnes de nitrate par an en Bretagne, cela s'accompagnerait d'une consommation de 300 000 tonnes de matière organique. Parallèlement la dénitrification étant une forme de respiration, elle s'accompagne d'une synthèse de corps microbiens. Le bilan réel vis à vis de la matière organique reste mal connu ou inconnu.

La teneur en nitrates des sols semble être un facteur particulièrement sensible pour l'intensité des phénomènes de dénitrification.

En effet les bassins versants ayant une charge polluante particulièrement élevée comme le bassin versant du Frémur (département des Côtes d'Armor) par exemple sont le siège de processus de dénitrification assez intenses.

Sans cette dénitrification et d'autres processus consommateurs de nitrates comme la volatilisation et la réorganisation, les eaux de ce bassin versant seraient encore plus polluées qu'elles ne le sont avec des teneurs moyennes annuelles de plusieurs centaines de mg de nitrates par litre.

(Ce bassin-versant qui a une superficie de 7 900 hectares présente un bilan en azote excédentaire de 1 280 tonnes pour un flux moyen annuel à l'exutoire de 13.9*106 m3 d'eau)

Jusqu'aux années 1970-1980, les sols hydromorphes de bas-fonds étaient occupés par des prairies permanentes paturées assez faiblement fertilisées et intensifiées. Le couvert végétal permanent assurait alors un rôle de filtre qui interceptait les ruissellements chargés de matières en suspension, de matières organiques, de phosphore, de pesticides et de métaux lourds et de micro-organismes pathogènes.

On sait en effet que l'essentiel de la contamination en phosphore du réseau hydrographque se réalise par l'intermédiaire de ruissellements vrais. Pour bon nombre de molécules de pesticides et de métaux lourds la contamination du réseau hydrographique se fait aussi par ruissellement.

"Les feuillages et la litière ... ralentissent l'écoulement de l'eau. Cela a pour conséquence de favoriser l'infliltration (d'autant plus que la porosité est élevée) et la décantation des particules en suspension" (Patty et al. 1994)

Après que les ruissellements aient été interceptés par la prairie permanente, l'adsorption intervient. Adsorption du phosphore et de molécules de pesticides sur la matière organique, échange de certains méraux lourds sur le complexe adsorbant, insolubilisation d'autres métaux lourds.

80% du phosphore et de l'azote ammoniacal pourraient être retenus par de larges dispositifs enherbés (Dillaha et al. 1989, Young et al. 1980). Des expérimentations avec des bandes enherbées de 24 mètres de large, on conduit à estimer l'adsorption du 2,4D à 70% et celle de la trifluraline à 90% (Asmussen et al., 1977 et Rhode et al., 1980).

Ces phénomènes d'adsorption et d'insolubilisation peuvent être réversibles et ils sont sans doute limitées par une capacité d'adsorption finie.

Quand des molécules de pesticides ont été adsorbées dans les horizons superficiels des sols hydromorphes de bas-fonds, elles peuvent être ensuite métabolisées. Dans la mesure où les métabolites ne sont pas eux mêmes des molécules toxiques, on a lors obtenu une véritable épuration.

Hadlich G. a montré en 1993 sur le sous bassin-versant du Kerouallon que les zones hydromorphes de bas-fonds étaient le siège d'une accumulation de métaux lourds, excepté pour le plomb. L'accumulation est notable pour le cadmium et le nickel, moins nette pour le cuivre et le zinc.

L'accumulation de cadmium, de cuivre et secondairement de nickel est directement liée à l'augmentation du taux de matière organique dans les sols hydromorphes de bas-fonds et à l'augmentation du degré d'anoxie du milieu.

Les hypothèses avancées sont que le cuivre est directement lié à la matière organique et que le cadmium est lié aux sulfures. Tous les mécanismes liés à l'amélioration du drainage qui se traduisent soit par une diminution du taux de matière organique soit par une diminution du degré d'anoxie ont pour conséquence une diminution du taux de cadmium et de cuivre immobilisé dans les sols hydromorphes de bas-fonds.

En ce qui concerne le zinc, le plomb et le chrome l'accumulation la plus nette s'observe au niveau de la limite entre les sols de versant et les sols de bas-fonds, à proximité de l'emplacement des haies qui ceinturaient habituellement les zones de bas-fonds.

1.2 - Risque environnemental

L'utilisation agricole des sols hydromorphes de bas-fonds a été considérablement modifée dans le cadre de l'intensification de l'agriculture depuis les années 1970.

Ils ont d'abord été l'objet de drainage. De plus, le remenbrement dans les cadre des travaux connexes s'est traduit souvent par la disparition des talus et des fossés de ceinture qui marquaient très souvent la délimitation entre les versants et ces zones hydromorphes de bas-fonds.

Le nouveau parcellaire mis en place suite aux remenbrements a privilégié des parcelles allongées dans le sens de la pente et s'étendant du versant jusqu'aux bas-fonds humides. Confrontés à des parcelles où la dynamique de l'eau n'était pas homogène, les agriculteurs ont été conduits à souhaiter voir drainer ces parcelles, en dehors de toute préoccupation d'intensification, simplement pour ne pas être amené à redécouper ces parcelles.

L'intensification et l'augmentation des charges à l'hectare a nécessité ensuite de substituer les herbages extensifs par la culture du maïs ensilage ou du maïs grain.

Avec la culture du maïs le sol reste nu pendant les six mois de la saison humide (d'octobre ou novembre à mars ou avril). Les risques de ruissellement sur les sols hydromorphes de bas-fonds sont élevés sur sols nus et ce d'autant plus s'ils sont saturés en eau.

A partir du milieu de la saison humide, les sols de bas-fonds sont saturés en eau, la surface des parcelles s'est glacée soit par fermeture de la porosité gravitaire (part de la porosité occupée par de l'eau qui circule sous l'effet de la gravité) soit par formation d'une croute de battance.

Les risques relatifs au ruissellement concernent aussi bien les matières en suspension, les germes pathogènes ou fécaux, le phosphore, l'azote, les métaux lourds et les pesticides.

La culture du maïs est une culture qui fait appel à des traitements herbicides dangereux. Quand la parcelle cultivée en maïs est située en bordure même du réseau hydrographique, le risque d'entrainement d'herbicide dans le réseau hydrographique est particulièrement grave.

Rappellons simplement un idée simple: dans une région comme le bassin-versant de l'Elorn où les pluies efficaces sont en année moyenne de l'ordre de 600 mm, il suffit d'une perte de 1,5 g d'herbicide par hectare pour que l'on atteigne une concentration de 0,25 microgramme par litre, c'est-à-dire 250 nanogramme par litre (si l'on suppose que cette quantité de produit se dissous dans l'ensemble du flux annuel d'eau).

Or 1,5 g de matière active, c'est une quantité qui est de l'ordre du millième de la quantité de matière active d'herbicide qui est utilisée par hectare, sur maïs.

On comprend donc que la culture de maïs dans les zones hydromorphes de bas-fonds fait courir un risque particulier de contamination du réseau hydrographique par les herbicides utilisés sur maïs.

Les experts de la pollution des eaux par les pesticides s'entendent aujourd'hui en Bretagne sur l'importance des parcelles de maïs situées à proximité du réseau hydrographique dans la pollution des eaux douces par les herbicides du maïs (Gillet com. pers. et Orhon 1993).

Le développement des élevages hors sol, s'est aussi traduit par une demande de surface épandable. Les parcelles en maïs sont les parcelles qui recoivent l'essentiel des épandages. Si les capacités de stockage des éleveurs sont suffisantes, l'essentiel des épandages a lieu avant l'implantation de la culture du maïs, en mars ou en avril.

Une autre période importante d'apport de lisier a lieu après récolte du maïs, c'est-à-dire avant la saison humide hivernale.

Dans une région très arrosée comme celle du bassin-versant de la Rade de Brest, les pluies efficaces hivernales dépassent largement la réserve en eau du sol (l'indice de saturation potentiel tel que définit par Houben (1995) Is= (P-ETP)/Vvide qui est le rapport entre les pluies efficaces hivernales et le volume de vide du sol atteint des valeurs de l'ordre de 3 en année moyenne et peut atteindre exceptionnellement des valeurs de 5 voire 6 en année humide) et les apports d'automne sont entièrement lessivés (Burns, 1994).

Les apports de printemps se font sur des sols dont la réserve en eau est peu éloignée du remplissage, dans le cas de pluies importantes et tardives (avril, mai ou juin), les risques d'entrainement par effet piston sont très élevés. Ce mécanisme peut concerner aussi bien l'azote que les pesticides.

Enfin, l'oxydation du sol consécutive au drainage ne permet plus au sol d'assurer ses fonctions dénitrifiantes et elle peut se traduire par une mise en solution des métaux lourds qui ont été stockés dans les sols hydromorphes.

retour au sommaire


2 - Identification cartographique par utilisation des modèles numériques de terrain et des indices topographiques

Pour identifier les sols hydromorphes de bas-fonds plusieurs techniques sont utilisables. La plus certaine est la cartographie pédologique.La classe d'hydromorphie est relevée au cours de la cartographie pédologique. C'est le refflet direct des processus d'oxydo-réduction du fer.

Dans la classification de l'hydromorphie en neuf classes qui est utilisée en Bretagne (Rivière et al., 1992), le seuil significatif semble être entre la classe 3 (appartion de tâches d'oxydo-réduction de faible intensité à une profondeur comprise entre 40 et 80 cm) et la classe 4 (appartion de tâches d'oxydo-réduction de forte intensité à une profondeur comprise entre 40 et 80 cm).

Pour réaliser une cartographie pédologique à l'échelle du 1/25 000, on réalise en Bretagne une densité de sondages de un sondage pour 4 à 5 hectares. C'est ce qui explique le coût des études de cartographie pédologique.

Dans le cadre d'objectifs précis: étude de périmètre de protection, étude d'impact d'élevage hors sol, étude d'impact d'aménagement foncier, la cartographie pédologique s'impose.

Dans d'autres cas, pour mettre en oeuvre une politique agro-environnementale, on peut se satisfaire simplement de l'identification cartographique des sols hydromorphes de bas-fonds. Pour cela plusieurs techniques peuvent être envisagées.

La cartographie de la végétation peut présenter aussi un grand intérêt pour identifier cartographiquement les zones humides. Cela est plus délicat quand les zones humides ont été drainées et que la végétation naturelle a été substituée par une végétation cultivée.

Quand il s'agit de couvrir assez rapidement de grandes superficies, à des coûts assez modérés (de l'ordre du quart du coût de l'identification cartographique à partir d'une carte des sols au 1/25 000), on peut utiliser les techniques de traitement des modèles numériques de terrain, pour peu que les modèles numériques de terrain dont on dispose aient une résolution suffisamment fine (pas inférieur à 25 mètres).

On peut aussi utiliser des techniques fondées sur l'observation de la végétation, soit directement sur le terrain, soit à l'aide d'images aériennes ou de télédétection.

Certaines techniques apportent des renseignements directs sur la teneur en eau des sols, c'est le cas du radar à interféromètre à synthèse d'ouverture (SAR) embarqué à bord d'hélicoptères, d'avions ou des sattellites du type ERS. Ces techniques sont testées pour l'identification cartographique des zones humides (Merot et al. 1994).

Dans le cadre de ce travail, nous avons utilisé des techniques de traitement de modèles numériques de terrain à pas de 20 mètres. Ce pas de 20 mètres est d'une part le plus fin sur lequel on puisse travailler aujourd'hui sur de grandes étendues. D'autre part la résolution spatiale autorisée par ce pas est compatible avec une échelle de restitution des résultats au 1/25000.

Les MNT que nous avons utilisé ont été acquis auprès de la Société ISTAR qui les produit par stéréo-restitution à partir d'images SPOT.

Pour générer un MNT à pas de 20 mètres, on utilise des images SPOT panchromatiques. Ces images ont un pixel de 10 mètres et elles comportent 6 000 par 6 000 pixels.

Les images utilisées doivent être de préférence des images d'été et elles doivent être d'excellente qualité. En standard la racine carrée de la moyenne des écarts au carré entre l'altitude vraie d'un point et l'altitude fournie par un MNT est de l'ordre de 3 mètres.

A partir du MNT original à pas de 20 m, nous avons généré un MNT à pas de 40 mètres. Ce MNT à pas de 40 m peut être généré par échantillonnage (on échantillonne un point sur deux, une ligne sur deux) ou en calculant la moyenne sur quatre mailles ou pixels.

La procédure de traitement du MNT qui a ensuite été utilisée avec le logiciel Mntsurf (Squividant H. 1994) est la suivante:

2.1 - Filtrage du Modèle Numérique de terrain

Pour éliminer le bruit à haute fréquence présent dans le MNT généré par stéréo-restitution d'images SPOT, il est utile de filtrer le MNT en utilisant un filtre médian de type 5x5.

2.2 - Calcul d'un modèle de drainage monodirectionnel

Dans un modèle de drainage mono-directionnel, une maille du MNT est supposée drainer l'ensemble du volume d'eau qu'elle recoit de son bassin versant vers la maille immédiatement voisine qui a l'altitude la plus faible (fig. 1).

Figure 1 : exemple de modèle de drainage mono-directionnel

2.3 - Recherche des exutoires

Les exutoires sont des mailles d'altitude zero, ou des mailles situées à la périphérie du Modèle Numérique de Terrain, ou bien encore des mailles en situation de " site encaissé ", c'est-à-dire entourrées de huit mailles toutes d'altitude supérieure à la maille centrale.

Ce dernier type d'exutoire est habituellement appellé " anomalie de drainage ". C'est une situation qui ne se rencontre pas dans la nature sauf dans des conditions particulières de milieu : zones karstiques, milieux endoréiques, milieux morainiques.

Ce type de situation n'existant pas dans le Massif Armoricain, cela nous autorise de dire que lorsque nous rencontrons une situation de " site encaissé " il s'agit bien d'une anomalie de drainage inhérente à des défauts dans le Modèle Numérique de Terrain.

2.4 - Correction des anomalies de drainage

Compte tenu de la taille des MNT que nous avons été amenés à traiter (1 million à 4 millions de mailles), les solutions de correction manuelle des anomalies de drainage qui sont utilisées dans certains logiciels étaient à proscrire (Depratere 1989).

Dans les MNT à pas large (de l'ordre de 250 m) le nombre d'anomalies est de l'ordre de 300 à 500 pour 10 000 mailles, soit 40 000 anomalies pour 1 million de mailles. Dans les MNT à pas de 20 à 50m, le nombre d'anomalies est de 30 à 100 anomalies pour 10 000 mailles, soit de l'ordre de 20 000 anomalies pour 4 millions de mailles.

La méthode de correction des anomalies de drainage dite "méthode des lacs" ou "méthode de la coulée de béton" a été utilisée mais elle n'a pas été retenue.

Nous avons développé une méthode originale de correction des anomalies de drainage utilisant des structures d'arbres et de sous-arbres que nous ne développerons pas ici.

2.5 - Calcul du réseau de drainage monodirectionnel

Quand les anomalies de drainage ont été corrigées, on peut générer un réseau de drainage. On appelle réseau de drainage l'ensemble des chemins que suit l'eau avant d'atteindre un exutoire absolu (d'altitude zéro) ou relatif. Dans le logiciel Mntsurf qui a été utilisé dans le cadre du programme Rade de Brest, le réseau de drainage est géré sous forme d'un arbre n-aire.

2.6 - Calcul de la surface monodirectionnelle du bassin-versant

Chaque maille du Modèle Numérique de Terrain est caractérisée par un nouvel attribut: surface mono-directionnelle du bassin-versant qui est calculé par parcours du graphe du modèle de drainage mono-directionnel.

2.7 - Extraction du réseau hydrographique estimé

On considère qu'une maille du MNT appartient au réseau hydrographique si la surface de son bassin-versant est supérieure à un seuil.

Compte tenu de la lithologie (schistes et grès) et de la pluviomètrie observée sur le bassin-versant de la Rade de Brest, le réseau hydrographique permanent a un chevellu très fin. Pour le modéliser, on peut choisir un seuil de surface de bassin versant de l'ordre de 20 à 25 hectares (fig. 2).

Figure 2 : extraction du réseau hydrographique et du contour du bassin versant de l'Elorn

(Version détaillée : légende, 80 K)

Le réseau hydrographique estimé ou modélisé est un sous-ensemble du réseau de drainage monodirectionnel. Le réseau hydrographique estimé ou modélisé peut différer localement du réseau hydrographique vrai.

La prise en compte du réseau hydrographique vrai dans le traitement des Modèles Numériques de Terrain constitue l'une des voies de développement et de progrès qui est habituellement appelée " correction des modèles numériques de terrain sous contrainte de réseau hydrographique vrai "..

2.8 - Extraction des contours des bassins-versants

L'identification des mailles du MNT appartenant aux contours des bassins-versants est obtenue aussi par un parcours de graphe appliqué à la représentation sous forme d'arbre n-aire du réseau de drainage mono-directionnel.

2.9 - Extraction des zones de pente forte et des contours des zones de pente forte

Nous nous sommes fondés sur l'arrêté prefectoral du Finistère qui fait jurisprudence en la matière et qui fixe à 7% le seuil des pentes fortes (fig. 3).

Figure 3 : visualisation des zones de pente forte (>7 %) sur le bassin-versant de l'Elorn

(Version détaillée : légende, 91 K)

2.10 - Calcul de la pente aval

Le concept de pente aval a été proposé par Crave A. et Mérot Ph. (comm. pers.). C'est une notion qui introduit le contôle de la saturation des sols en eau par l'aval. L'idée est que le réseau hydrographique permanent est toujours occupé par de l'eau, même si le niveau de l'eau peut fluctuer dans le réseau hydrographique. Même en cas de fluctuation de ce niveau de l'eau, cette fluctuation est de faible intensité (de quelques décimètres dans les biefs d'amont; de quelques mètres au maximum dans les biefs d'aval et dans le cas de réseaux hydrographiques de très grande taille).

La pente aval est la pente calculée entre toute maille du modèle numérique de terrain et la maille la plus proche de ce point appartenant au réseau hydrographique. La pente aval est donc une manière simple d'approcher le concept de rabattement de nappe.

Dans les cas de biefs amont, dès que le dénivellé entre la maille étudiée et la maille la plus proche appartenant au réseau hydrographique est supérieure à 1 ou 2 mètres, l'erreur induite par la fluctuation du niveau de l'eau dans le réseau hydrographique (de quelques décimètres) devient négligeable.

2.11 - Calcul du modèle et du réseau de drainage multi-directionnel

Dans un modèle de drainage multi-directionnel, une maille du MNT est supposée drainer l'ensemble du volume d'eau qu'elle recoit de son bassin versant vers les mailles qui sont ses voisines immédiates et qui ont une altitude plus faible. Le volume d'eau reçu du bassin-versant est reparti entre ces différentes mailles voisines plus basses, au prorata de la différence d'altitude entre la maille centrale et ses voisines (fig. 4).

Figure 4 : exemple de modèle de drainage multi-directionnel

A l'aide de ce modèle, on peut générer un réseau de drainage appellé multi-directionnel. Dans le logiciel Mntsurf, ce réseau est géré sous forme d'un graphe planaire.

2.12 - Calcul de la surface multi-directionnelle des bassins-versant

Chaque maille du Modèle Numérique de Terrain est caractérisée par un nouvel attribut: surface multi-directionnelle du bassin-versant qui est calculé par parcours du graphe du modèle de drainage multi-directionnel.

2.13 - Calcul de l'indice de Beven-Kirkby aval

L'indice de Beven-Kirkby aval est un concept qui a été dérivé du concept de l'indice de Beven-Kirkby (Beven and Kirkby, 1979, Kirkby 1978). La surface de bassin versant utilisée est la surface multi-directionnelle; la pente qui est utilisée est la pente aval.

On combine avec cet indice un contrôle de la saturation des sols par l'amont par l'intermédiaire de la surface multi-directionnelle et un contrôle par l'aval avec la pente aval. On peut dire que cet indice est un indice topographique ou morphologique d'estimation des zones saturées par l'eau ( Mérot et al., 1993).

Signalons que cet indice est performant pour modéliser les zones humides ou hydromorphes de bas-fonds ou de fonds de vallée, mais il est inoppérant pour identifier les zones humides ou hydromorphes de haut de topographie dont l'origine de la saturation par l'eau n'est pas de nature topographique, mais peut-être de nature géologique, pédologique ou texturale.

Les essais que nous avons réalisés montrent la plus grande pertinence de l'indice de Beven-Kirkby aval que l'indice classique de Beven-Kirkby pour estimer les zones hydromorphes de bas-fonds.

retour au sommaire


3 - Extraction des zones de bas-fonds et des contours des zones de bas-fonds

L'indice de Beven-Kirkby aval est un indice numérique de type réel dont l'étendue des valeurs va de moins de 8 à plus de 30. Pour identifier les zones de bas-fonds, il faut disposer d'un calage, c'est-à-dire d'un secteur de surface suffisante où l'on dispose simultanément d'une carte pédologique comportant une information fiable sur l'hydromorphie des sols et du Modèle Numérique de Terrain. Dans l'Ouest de la Bretagne, le seul secteur de ce type est le Bassin Versant de Kervijen (Baie de Douarnenez, Finistère).

Ce bassin-versant a une surface de 5 000 ha, il est soumis à une pluviométrie voisine mais néanmoins plus faible de 100 mm en moyenne que celle du bassin versant de l'Elorn. Sur le plan géologique, on retrouve dans ces deux bassins versants des schistes carbonifères, mais il y a une assez grande extension des granites dans le bassin versant de l'Elorn.

Le bassin versant de Kervijen a fait l'objet d'une cartographie des sols à l'échelle du 1/25 000 et nous disposons sur ce secteur du MNT à pas de 20 m, c'est la raison pour laquelle nous l'utilisons comme site de calage. Sur ce secteur de calage de Kervjen, la meilleure estimation des sols hydromorphes de bas-fonds est obtenue avec un indice de Beven-Kirkby aval de 13,9.

Le taux d'estimation des zones hydromorphes de bas-fonds est alors de 80 à 85%. En choisissant le seuil de calage, on privilégie la fait que les zones estimées comme étant des zones hydromorphes de bas-fonds aient la meilleure probablité d'être effectivement des zones hydromorphes de bas-fonds.

Initialement, il était prévu de faire réaliser une étude de cartographie des sols sur un secteur de l'ordre de 5 000 hectares dans le bassin-versant de l'Elorn, autour du sous bassin du Kerouallon (communes de Loc-Eguiner et Ploudiry).

Le calage de l'indice de Beven-Kirkby était prévu sur ce secteur de 5 000 hectares. Cette étude n'ayant pas été réalisée pour des raisons financières consécutives à un recadrage du programme Rade de Brest, l'extraction des zones hydromorphes de bas-fonds a été faite en utilisant le seuil de 13,9 établi sur le bassin-versant de Kervijen (fig. 5).

Figure 5 : Visualisation des zones hydromorphes de bas-fonds du bassin-versant de l'Elorn

(Version détaillée : légende, 42 K)

Le seuillage de l'indice de Beven-Kirkby revient à produire une image binaire (présence/absence d'hydromorphie de bas-fonds). L'extraction des contours des zones de bas-fonds en mode raster revient à une extraction des contours d'une composante connexe.

3.1 Traitement d'image

Que ce soit pour les zones hydromophes de bas-fonds ou plus encore pour les zones de pente forte, l'image obtenue peut apparaître bruitée: présence de petites inclusions de pente forte dans des zones de faible pente et inversement présence de petites inclusions de zones de faible pente dans des zones de pente forte.

Cet aspect bruité de l'image est particulièrement net pour l'image des zones de pente forte. L'image des zones hydromorphes de bas-fonds est faiblement bruitée. Pour éliminer ce bruit, on peut fare appel à des procédures de traitement d'image. Cet aspect ne sera pas développé. Les filtres médians donnent les meilleurs résultats.

Nous avons procédé à un filtrage en faisant passer deux ou trois fois un filtre médian 3x3. Pour éviter l'élimination de certaines composantes connexes, l'application du filtre médian a été interdite dans certaines configurations de composantes connexes.

3.2 Vectorisation du réseau hydrographique, des contours des bassins-versants, des zones hydromorphes de bas-fonds et des zones de pente forte

Quatre couches d'information résultent dutraitement réalisé:le réseau hydrographique, les contours des bassins versants, les contours des zones hydromorphes de bas-fonds, les contours des zones de pente forte. Ces contours sont alors vectorisés pour importation dans un Système d'Information Géographique vecteur.

La vectorisation a été réalisée au format Arc-Info pour les échanges de données avec les services de la Base de Données Urbaines de la Communauté Urbaine de Brest.

La vectorisation a aussi été réalisée au format Descartes V2 qui est un logiciel vecteur en développement dans l'équipe Spatialisation Numérique de l'E.N.S.A.R. Ce logiciel implémente un ensemble de fonctionnalités permises par la gestion de certaines données sous forme d'arbres ou de graphes.

retour au sommaire


4 - Différentes formes de restitution cartographique des résultats

De multiples formes de restitution cartographique des résultats peuvent être utilisées. On peut les classer en trois grandes catégories: représentations raster bidimentionnelles, représentations raster tridimentionnelles, représentations vecteur.

4.1 - Représentations raster bidimentionnelles

Sur fond d'un codage hypsomètrique des altitudes du MNT (un codage hypsométrique en classes d'altitude de dix mètres a été utilisé), on peut représenter individuellement ou en les combinant les contours des quatre couches d'informations produites.

On peut aussi plus simplement représenter individuellement chaque couche considére comme une variable binaire.

4.2 - Représentations raster tridimentionnelles

Les mêmes représentations que précédemment peuvent être faites sur une vision tridimentionnelle sous forme de bloc diagramme.

4.3 - Représentations vecteur

En dehors de la représentation classique sous forme de quatre couches vecteur, nous avons fait des essais avec le logiciel Descartes V2 en cours de développement à l'E.N.S.A.R..

Ces essais ont été réalisés sur une secteur au 1/25 000 de la partie centrale du bassin-versant de l'Elorn. Ce secteur recouvre en particulier le sous-bassin-versant du Kerouallon et la ville de Landivisiau. Les quatre couches vecteur sont représentées sur l'image raster de la carte IGN au 1/25000. La carte topographique est alors simplement considérée comme un fond de plan, une image d'illustration qui ne nécessite aucun traitement évolué (ni vectorisation, ni génération de topologie...).

retour au sommaire


5 - Perspectives

Quand en 1991, l'équipe de Spatialisation Numérique de l'E.N.S.A.R. a été sollicitée par la Communauté Urbaine de Brest, pour mener un programme sur l'identification cartographique des zones hydromorphes de bas-fonds, cette initiative avait un caractère précurseur.

L'intérêt suscité par les zones hydromorphes de bas-fonds s'est ensuite fortement développé. Une part très importante des mesures agri-environnementales prises au niveau communautaire, national ou régional a trait aux zones hydromorphes de bas-fonds.

Les techniques de traitement des Modèles Numériques de Terrain se sont effectivement confirmées comme étant adaptées pour identifier cartographiquement ces zones d'intérêt environnemental.

Les développements logiciels, les mises au point méthodologiques, la constitution progressive d'une base de données altimétriques (Modéle Numérique de Terrain) à pas de 20 m de toute la Bretagne sont autant d'étapes qui rendent possible l'identification cartographique des zones hydromorphes de bas-fonds.

Le rôle précurseur assuré par la Communauté Urbaine de Brest a été relayé par d'autres structures pour appliquer ailleurs la méthologie mise au point sur le bassin-versant de la Rade de Brest.

La base de donnée altimètrique à pas de 20 m de la Bretagne n'est pas totalement achevée et il y a un manque de zones de calage à partir de données de cartographie pédologique que ce soit en Bretagne occidentale ou en Bretagne centrale.

retour au sommaire


Index | Publication